N° 33 - Janvier 2008
 

Parole donnée au professeur Bruno Lesourd

Le Professeur Bruno Lesourd, responsable du département de gériatrie à la Faculté de Médecine de Clermont-Ferrand a accepté un entretien avec le docteur Catherine Simon-Voldoire ayant pour thème la iatrogénie en particulier chez les personnes âgées.

PSA > Les médecins conventionnés sont engagés dans des programmes de prévention depuis la convention de 2005. La iatrogénie médicamenteuse chez les personnes âgées fait partie des thèmes retenus (avenants à la convention des médecins généralistes n°12 et 23). En 2006 Analyses stat n° 6 nous a apporté des éléments de constat en Auvergne. J’ai pu comprendre lors nos rencontres que la iatrogénie faisait partie de vos priorités.
Que pouvez-vous nous dire afin de motiver nos lecteurs à plus de vigilance ?

Pr BL > Les hospitalisations des personnes âgées pour iatrogénie sont fréquentes (5 à 10% des hospitalisations chez les plus de 65 ans, mais plus de 20 % chez les plus de 80 ans) avec parfois des conséquences dramatiques pour les personnes hospitalisées. Cette prévalence augmente beaucoup avec le nombre de médicaments : de 4 % lorsqu’il y a moins de 5 médicaments, elle passe à 28 % quand ce nombre dépasse 10 (10 % des ordonnances comprennent plus de 10 médicaments en Auvergne) et à 54 % quand Il y en a plus de 15). Certaines associations sont particulièrement toxiques : l’association de plusieurs psychotropes, d’un anti-hypertenseur et d’un psychotrope, d’un AINS et d’un IEC, d’un IRS et d’un IPP, d’un laxatif et d’un anti-arythmique… Or nous donnons aujourd’hui 2 fois plus de médicaments qu’il y a 20 ans. Peut-être faut-il revoir notre pratique médicale ?
Cette prévalence, beaucoup plus importante que pour les adultes plus jeunes, pourrait être fortement réduite si une surveillance médicale de meilleure qualité et si les effets secondaires des médicaments étaient mieux connues ou mieux appliquées par les médecins traitants. Certes, ils subissent la pression des patients et de leurs familles pour les prescriptions médicamenteuses et il n’est pas facile de s’y opposer. Mais certaines précautions élémentaires ne sont pas toujours prises : surveillance de l’hypotension orthostatique, de la clairance de la créatinine, du poids, de l’état d’hydratation…. qui sont des éléments indispensables à la prescription médicamenteuse surtout chez les personnes âgées fragiles. Trop souvent la réponse à un problème est le médicament alors même que l’on sait que les conditions de vie, les aides apportées, peuvent permettre de résoudre de nombreux problèmes. Une vision plus globale de la prise en charge des personnes âgées fragiles est absolument indispensable mais on sait que cela prend du temps et le temps manque souvent. Apprendre à faire régulièrement un bilan des prescriptions médicamenteuses (au moins une fois par an en utilisant la consultation approfondie [CALD]) aiderait beaucoup à prévenir cette pathologie évitable. Je crois qu’il est temps de changer nos pratiques pour aider nos patients en faisant entrer la médecine préventive, y compris pour les médicaments, dans notre façon de faire.

PSA > L’Auvergne est particulièrement concernée du fait d’une population âgée avec un taux supérieur à celui de la France. Les médecins conseils ont rencontré en 2006 et 2007 plus de 500 médecins généralistes. Ces médecins avaient été ciblés du fait d’un nombre élevé de patients de plus de 65 ans avec 10 délivrances médicamenteuses d’au moins 7 médicaments dans l’année.
Nous leurs avons porté les recommandations de bonne pratique et en particulier celles concernant les benzodiazépines à demi-vie longue, les associations de 2 psychotropes ainsi que les vasodilatateurs et anti-ischémiques.
Comment pourriez-vous nous aider à convaincre les médecins que ces prescriptions sont trop souvent retrouvées et de plus associées sur les ordonnances des + de 65 ans ?

Pr BL > Je crois qu’il faut revenir au bon sens. Très peu de médicaments ont été étudiés chez les plus de 70 ans en bonne santé et encore moins dans les circonstances pathologiques où nous les prescrivons. Ce qui revient à dire que nous servons d’expérimentateurs, là où l’industrie pharmaceutique n’ose pas le faire. Alors la recommandation est la prudence. Pour cela, sachant que chez les personnes âgées dont nous avons la charge, les données manquent et les risques sont augmentés, il faut donner le moins de médicaments possibles et éviter, au maximum dans la mesure du possible toutes les associations dont j’ai donné des exemples et elles ne sont pas les seules. Est-il logique que nous donnions des psychotropes en France autant que pour une autre population européenne trois fois plus importante ? Les benzodiazépines sont largement sur utilisées. Sachant que leur élimination est souvent longue, elles peuvent donner des accidents de surdosage dès que survient un incident aigu, si fréquent chez les personnes âgées. Il faut donc, et c’est vrai aussi pour toutes les classes de médicaments, donner les médicaments à la ½ vie la plus courte, au cas où, et s’en abstenir de les donner chaque fois que cela est possible. Pour cela une règle est importante chez les personnes âgées fragiles : ne jamais traiter un symptôme, ce que réclame les patients et les familles, mais toujours la cause de celui-ci. Cela évite de donner trop de médicaments. Il faut aussi toujours prescrire et les médicaments à ½ vie courte, et les médicaments qui sont peu stockés dans l’organisme, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas liposolubles car la masse adipeuse est augmentée. C’est la seule façon de pouvoir les arrêter dès que survient un événement pathologique, surtout s’il y atteinte de la fonction rénale, et donc d’éviter une intoxication médicamenteuse. Bien évidemment il ne faudra pas associer 2 médicaments de la même classe.

PSA > Nous allons joindre à cet article, les outils élaborés par la HAS et les recommandations de l’AFSSAPS ainsi que des mémos d’aide à la prescription. Qu’en pensez-vous ?

Pr BL > Les mémos sont particulièrement utiles pour se rappeler des ½ vies des médicaments et donc avoir un guide de ce qui est licite de prescrire et de ce qui ne l’est pas. Je pense que tout médecin devrait les avoir sur son bureau au moment de la rédaction de son ordonnance. En fait devant toute prescription, et particulièrement quand il s’agit d’un ordonnance pour les personnes âgées, il faut se poser, pour chaque médicament prescrit, le question bénéfice-risque, surtout en cas d’événement intercurrent et donc choisir le médicament qui pourra être arrêté le plus rapidement possible. Il faut aussi se poser la question des interactions médicamenteuses et en particulier savoir si on augmente le risque de chutes.

PSA > Si vous deviez résumer par 3 messages clés cet entretien, lesquels seraient-ils ?

Pr BL > Voici les 3 messages clés qu’il faut toujours avoir à l’esprit quand on prescrit un médicament pour une personne âgée, surtout si elle est fragile ce qui est la cas des personnes âgées que nous suivons :
 Toujours tenir compte de la fonction rénale (la plus importante pour l’élimination des médicaments) et donc ne prescrire qu’en fonction du Cockcroft qui est, bien qu’imparfait la meilleur façon de la mesurer. On devrait donc toujours avoir à sa disposition un Cockcroft récent (de moins de 3 mois),
‚ Utiliser des ½ doses par rapport à ce que l’on utilise pour les adultes plus jeunes, mis à part quelques exceptions comme les antidépresseurs IRS. Ceci est d’autant plus important que la marge thérapeutique du médicament est étroite, comme pour la digoxine.
ƒ Réviser régulièrement les traitements (au minimum 1 fois/an) afin de s’assurer des non effets cumulatifs entre eux. On peut s’aider au besoin des dosages plasmatiques. Il faut profiter de cette révision pour éliminer tous les médicaments aux effets thérapeutiques non prouvés et pour cela utiliser les recommandations de la HAS.

J’ajouterai qu’il faut savoir ne pas tout traiter et pour cela hiérarchiser les pathologies et ne traiter que celles qui mettent en cause la vie du patient ou sa qualité de vie. Pour cela il faut savoir tenir compte et de l’espérance de vie du patient, et de ses désirs et surtout de la qualité de vie qu’il aura sous traitement. Enfin, bien sur, il faut vérifier, et cela demande souvent du temps, que le traitement est bien compris et accepté par le patient.

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